Histoires de mots - 7 décembre 2020 - 3 min

Cloches celtiques ou latines

Noël prendra une allure plus modeste cette année, à cause de la pandémie qui limite nos déplacements et le nombre de nos hôtes. On se réconfortera en déployant des trésors d’imagination pour décorer sa demeure. Sapin, couronne, santons, lumières et cloches, au moins, viendront ainsi embellir cette fête chère à nos cœurs. Ne laissons pas les limites imposées à notre espace physique s’étendre à notre espace mental : explorons le passé résonant de trois mots désignant une de ces décorations, la cloche, et laissons-nous transporter de l’Irlande à l’Italie. Que sonnent donc cloche, cloque et campane pour nous mettre dans l’ambiance de Noël !

cloche

Cloche est un descendant du latin tardif clocca, qui avait été emprunté au vieil irlandais cloc ‘cloche’ lors de l’évangélisation de l’Europe continentale par les moines irlandais. Le nom irlandais cloc imiterait le son des premières cloches rudimentaires. À partir du Ve siècle, la cloche a remplacé graduellement la simandre, planche de bois battue à l’aide d’un maillet. Elle figure depuis en belle place dans les rites chrétiens. Les cloches décoratives du sapin de Noël et les carillons dans les chants de Noël constituent des symboles forts de cette fête.

Avant d’aboutir au français, le nom latin a été affecté par le passage du c au ch devant le a final de clocca. Cloche supplanta pour de bon son concurrent campane au XVIIe siècle. Plusieurs sens sont créés par analogie de forme avec les cloches originales. Le sens ‘cape’ apparait ainsi au Moyen Âge, puis s’éclipse à partir du XVIe siècle. De la fin du moyen français jusqu’en français moderne, cloche désignera d’autres objets en forme de cloche (cultiver des melons sous cloche, cloche à fromage, etc.). Au XVIIe siècle apparait le sens ‘gonflement de la peau’, toujours courant en français québécois, mais supplanté ailleurs par son concurrent normanno-picard cloque au XIXe siècle.

Le nom cloche possède aussi des sens se rapportant à l’être humain. Le sens ‘personne stupide ou incapable’, qui donne lieu à un emploi adjectival, apparait au XVIIIe siècle. Peu avant l’apparition de ce sens, cloche signifiait ‘personne indécise’. Ces deux sens font probablement référence au manque de stabilité de l’esprit, tel un balancement de cloche. Un autre sens, ‘ensemble des clochards’, n’a pas de rapport étymologique avec les deux premiers ; il est issu, au XIXe siècle, du verbe clocher évoquant la claudication des mendiants.

cloque

Le mot cloque est le correspondant normanno-picard de cloche. Son origine est trahie par le maintien du son dur du c (noté aujourd’hui par qu) devant a du latin tardif clocca. Notons pour l’anecdote que le mot anglais clock, qu’on rencontre en français dans l’emprunt five o’clock ‘thé de cinq heures’, est aussi étymologiquement lié à cloque.

Cloche et cloque suivent une évolution parallèle au début. Ils désignent au sens propre l’instrument servant à appeler ou à signaler. Puis, un sens ‘cape’ apparait au Moyen Âge par analogie de forme avec l’instrument sonore ; il passera d’ailleurs en anglais sous sa forme normanno-picarde (cloak). Cloque fait alors silence pendant quelques siècles à partir du moyen français pour ne réapparaitre qu’à la fin du français classique par réemprunt au normanno-picard avec de nouveaux sens figurés, rappelant tous la forme bombée de cet instrument. Un de ces sens, ‘petit gonflement de la peau’ (XVIIIe siècle), a évincé son pendant français, lequel ne survit plus que régionalement ; son apparition avait été précédée de celle du sens ‘maladie attaquant les feuilles de certains arbres’ (aussi du XVIIIe siècle). Le sens ‘boursoufflure sous une couche, une feuille’ a probablement été dérivé du sens ‘gonflement’. Quant à la locution être en cloque ‘être enceinte’ (tournant du XXe siècle), elle constitue une spécialisation argotique illustrant le gonflement du ventre lors de la grossesse.

campane

Le mot campane n’est pas d’origine française, comme l’indiquent l’absence de palatalisation du c latin devant a (qui aurait donné ch) ainsi que la date tardive de son apparition (XIIe siècle), qui se situe après ce phénomène. On ignore si le mot a été emprunté au latin tardif même (campana) ou bien à un de ses descendants (occitan, espagnol, catalan, italien ou normanno-picard). Il existe, par ailleurs, des formes « plus françaises », telles que champaine ou champan(n)e, apparues sporadiquement en ancien et moyen français. Peu importe son orthographe, campane n’a pas réussi à détrôner son prédécesseur cloche, issu du fonds primitif. Il s’essoufflera à partir du XVIIe siècle dans le sens de ‘cloche’, ne survivant que dans quelques acceptions spécialisées, notamment ‘chapiteau de colonne en forme de cloche renversée’ et ‘clochette pour le bétail’, maintenant vieillie. Quelques-uns de ses parents modernes, tels que campaniforme ‘en forme de cloche’, campanule ‘plante à fleurs en forme de clochette’, campanelle ‘clochettes d’un harnais de cheval’ et, le plus connu, campanile ‘clocher isolé d’une église’ en évoquent néanmoins le souvenir.

L’étymon campana, encore bien vivant au sens de ‘cloche’ dans plusieurs langues latines, portait non seulement ce sens en latin tardif, mais aussi celui de ‘peson’ ; le balancement de la cloche aurait ainsi été comparé à celui de l’objet accroché au peson. Campana, dans ce dernier sens, serait la nominalisation d’un adjectif campanus signifiant ‘de Campanie (région de Naples)’. La Campanie était réputée pour la qualité de la fonte de ses objets de bronze, dont ses pesons, peut-on supposer.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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