Quand est-ce, le prochain ?
Nous sommes le lundi 1er mars et on me fait aujourd’hui une invitation à une fête pour « samedi prochain » : faut-il comprendre qu’il s’agit du samedi de cette semaine (6 mars) ou du samedi de la semaine prochaine (13 mars) ?
Bref, fêterez-vous saint Fridolin ou saint Léandre ? Il semble que l’hésitation exprimée à propos de l’emploi de l’adjectif prochain avec un nom de jour comme samedi soit assez fréquente. Examinons donc le problème du jour.
Emploi sans déterminant (samedi) ou avec le déterminant démonstratif (ce samedi)
Commençons par un rappel. Dans une précédente chronique sur les jours de la semaine, on a mentionné qu’un nom de jour de semaine employé sans déterminant fait habituellement référence au jour de ce nom qui est le plus rapproché dans le passé ou dans le futur par rapport au moment de l’énonciation. Le contexte, par exemple le temps du verbe, permet normalement de comprendre s’il s’agit du passé ou du futur :
Il est venu samedi. (= le samedi le plus rapproché dans le passé)
Il viendra samedi. (= le samedi le plus rapproché dans le futur)
On emploie dans le même sens, mais plus rarement, le déterminant démonstratif :
Il est venu ce samedi.
Il viendra ce samedi.
L’emploi de ce démonstratif de proximité est parfois critiqué comme un redondant calque de l’anglais (this Saturday), mais il est attesté dans des grammaires françaises. Par ailleurs, tout comme l’expression ce jour est parfois employée au sens d’« aujourd’hui », le démonstratif est parfois employé avec un nom de jour en faisant référence au jour courant, notamment dans la correspondance :
Ce samedi, je prends la plume pour vous écrire...
Mais c’est d’un style plutôt recherché ou administratif.
Retenons que la façon la plus courante de parler du samedi le plus rapproché dans le futur, c’est simplement d’employer ce nom de jour sans déterminant. Donc si, dans une invitation datée du lundi 1er mars, on lit ceci :
Il y aura une fête samedi.
… on peut déduire sans risque de se tromper que la fête se tiendra le samedi 6 mars.
samedi prochain
Quand il qualifie un nom au singulier désignant une unité de temps périodique, l’adjectif prochain fait référence à son occurrence future la plus proche (en excluant donc l’occurrence où l’on se trouve actuellement) :
la semaine prochaine
le mois prochain
l’année prochaine
L’expression le jour prochain est quant à elle peu usitée, puisque le français emploie dans ce sens le mot demain.
L’adjectif prochain est employé dans le même sens avec des noms de jours :
lundi prochain
samedi prochain
L’adjectif prend la marque du pluriel s’il qualifie des noms de jours coordonnés :
Le festival se tiendra samedi et dimanche prochains.
À noter aussi que, si le nom du jour porte le déterminant indéfini un, l’adjectif prochain ne désigne plus nécessairement le samedi le plus proche dans le futur. Il est alors habituellement antéposé :
un prochain samedi
L’adjectif prochain semble d’un emploi simple et clair. Alors pourquoi suscite-t-il de la confusion ?
On peut d’abord remarquer que, à la différence des noms comme semaine, mois et année, qui désignent des unités temporelles qui se suivent sans discontinuité, les samedis ne s’enchainent pas à la queue leu leu ; ils sont séparés par des jours portant d’autres noms : les jours se suivent, mais ne se ressemblent pas ! Si la semaine prochaine peut toujours se définir comme la semaine qui suit la semaine actuelle, on ne peut souvent pas définir samedi prochain comme le samedi qui suit le samedi actuel, puisque nous ne sommes pas nécessairement samedi actuellement. D’où alors peut-être, chez certains, le réflexe d’opposer mentalement samedi prochain à l’unité temporelle qu’est la semaine actuelle et de situer samedi prochain dans la semaine prochaine.
L’hésitation à interpréter samedi prochain comme synonyme de samedi tout court vient peut-être aussi du fait que cette interprétation reviendrait à conclure que samedi prochain serait alors un pléonasme : « Si la personne qui m’invite avait voulu signifier samedi tout court, elle aurait écrit samedi tout court, non ? Alors, si elle ajoute prochain, elle veut peut-être parler du samedi de la semaine prochaine. » Ce genre de réflexion est compréhensible, mais il faut moins voir dans samedi prochain un pléonasme qu’une espèce de figure rhétorique d’insistance.
Cette hésitation semble d’autant plus prononcée que l’intervalle suivant le jour d’énonciation est court. Si le jour d’énonciation est vendredi et que l’énoncé parle de samedi prochain, la tentation est grande de l’analyser comme signifiant samedi de la semaine prochaine, car, dans l’autre analyse possible, on se serait plutôt attendu à l’emploi du mot demain. Même phénomène dans les cas de figure où l’expression pourrait signifier après-demain.
Le fait d’interpréter samedi prochain comme « samedi de la semaine prochaine » est parfois imputé à l’influence de l’anglais, langue où next Saturday porte cette signification, par opposition à this (coming) Saturday. Cette influence est fort possible, mais les choses ne sont quand même pas aussi simples dans la langue de Shakespeare, où l’on constate qu’une expression comme next Saturday suscite en fait de la confusion chez bon nombre de locuteurs. Voir notre chronique en anglais consacrée à cette question. On observerait un flottement sémantique semblable dans d’autres langues.
Pour répondre à la question de départ, si l’expression samedi prochain est énoncée le lundi 1er mars, elle désigne en principe le samedi 6 mars ; en pratique, elle risque d’être parfois comprise comme désignant le samedi 13 mars.
samedi en huit, samedi en quinze
Le français dispose par ailleurs de la locution adjectivale en huit, qui, apposée à un nom de jour, désigne le jour de ce nom situé dans la semaine suivant la semaine actuelle.
samedi en huit = samedi de la semaine prochaine
Il existe aussi la locution adjectivale en quinze qui s’utilise de la même manière, mais qui désigne le jour situé une semaine plus tard que celui qui est désigné par la locution en huit.
Ainsi, si le jour d’énonciation est le lundi 1er mars :
samedi = samedi de cette semaine = le samedi 6 mars
samedi en huit = samedi de la semaine prochaine = le samedi 13 mars
samedi en quinze = samedi suivant samedi en huit = le samedi 20 mars
Ne pas confondre samedi en huit et samedi le 8 ! Dans les locutions en huit et en quinze, les numéraux huit et quinze, qui s’écrivent toujours en toutes lettres, ne désignent pas le quantième (numéro du jour dans le mois), mais le nombre de jours que représentent respectivement une semaine et deux semaines. Les numéraux sept et quatorze pourraient sembler plus logiques, mais ces locutions sont une survivance d’une façon inclusive de compter (le jour de départ et le jour d’arrivée de l’intervalle sont comptés en entier tous les deux).
Les deux locutions s’utilisent parfois aussi avec les mots aujourd’hui et demain :
aujourd’hui en huit = le jour du même nom qu’aujourd’hui, mais dans une semaine
demain en quinze = le jour du même nom que demain, mais dans deux semaines
Ces locutions en huit et en quinze offrent une solution séduisante pour exprimer certaines relations temporelles entre les jours de la semaine, mais elles ne sont pas sans inconvénient.
D’abord, il faut reconnaitre que leur usage est loin d’être répandu dans tous les milieux, toutes les tranches d’âges ou toutes les régions de la francophonie. Elles risquent d’être ésotériques pour bien des gens.
Ensuite, elles ne sont pas sans ambigüité elles non plus. Les diverses façons dont leurs définitions sont formulées dans les ouvrages de référence permettent des interprétations divergentes dans certains cas de figure. Par exemple, si l’on est le vendredi 5 mars et que l’on parle de lundi en huit, certaines définitions impliquent l’interprétation « pas lundi (prochain), mais le suivant, donc le 15 mars », alors que d’autres impliquent plutôt « lundi de la semaine prochaine, donc le 8 mars ».
Quand la semaine prochaine commence-t-elle ?
Aux sources de confusion déjà mentionnées se combine le fait qu’il n’y a pas de réponse unique à la question : quand la semaine commence-t-elle ?
Par convention, l’Organisation internationale de normalisation considère dans sa norme ISO 8601 que le lundi est le premier jour de la semaine, mais, dans certains pays, l’usage traditionnel penche plutôt pour le dimanche ou pour le samedi.
De plus, dans certaines situations, le point de départ de « cette semaine » sera considéré par l’énonciateur comme étant le moment même de l’énonciation, peu importe le jour de la semaine où l’on se trouve. La « semaine prochaine » commencerait alors une semaine après le moment d’énonciation.
Un énoncé comme dimanche de la semaine prochaine ne désigne alors pas nécessairement le même dimanche pour tout le monde.
Formulations de rechange
On constate donc plusieurs occasions potentielles de malentendus. Pour éviter tout quiproquo (ou tout « quandi pro quando »), les solutions de rechange ne manquent heureusement pas quand il s’agit de fixer clairement un rendez-vous.
On peut expliciter le nombre de jours dans l’intervalle :
samedi dans cinq jours
samedi dans douze jours
Ou alors préférer des formulations non déictiques, c’est-à-dire dont le sens ne dépend pas du moment de l’énonciation (comme c’est le cas pour le mot déictique demain). En voici une première, en supposant que l’année est implicite, ce qui est généralement le cas pour un rendez-vous :
le premier samedi de mars
le deuxième samedi de mars
Encore plus simple est l’utilisation du quantième (numéro du jour dans le mois) :
le 6 mars
le 13 mars
Si le mois est lui-même jugé implicite, on pourra l’omettre :
le samedi 6
le samedi 13
Concision extrême :
le 6
le 13
Les éléments omis doivent se déduire automatiquement du contexte pour quiconque a un calendrier sous la main ou dans la tête. Cela dit, on pourra épargner ce petit travail au destinataire avec une formulation qui mentionne à la fois le jour, le quantième et le mois :
le samedi 6 mars
le samedi 13 mars
Précaution ultime, voici la « totale », où l’on ajoute l’année :
le samedi 6 mars 2021
le samedi 13 mars 2021
Juste au cas bien improbable où votre destinataire hésiterait entre 2021, 2027 et 2038…
Conclusion
Même si une expression comme samedi prochain n’est pas ambigüe en principe, ce n’est pas toujours le cas en pratique. Avec son prochain, on risque un malentendu avec son prochain.