Histoires de mots - 1 aout 2022 - 4 min

Eurêka, j’ai trouvé!

« Eurêka! », se serait écrié Archimède en courant nu dans les rues de Syracuse après s’être élancé hors d’une baignoire. Cette exclamation grecque, signifiant ‘j’ai trouvé’, marquait la découverte de la notion de masse volumique. Il se peut que vous ayez la même réaction quand vous « trouverez » l’origine de trouver — étonnamment lié à trope, troubadour, tropique et trophée —, de eurêka et de son parent heuristique. Nous vous recommandons cependant de lire cette Histoire de mots ailleurs que dans votre baignoire pour éviter de vous retrouver dans la rue en tenue d’Ève ou d’Adam…

trouver, trope

Étonnamment, trouver est apparenté à la fois à trope, troubadour (ou trouvère), tropisme, tropique et trophée, pourtant très différents d’un point de vue sémantique. Pour rétablir les liens étymologiques entre ces mots, il faut reculer jusqu’à l’époque de la Grèce antique. Le grec possédait un verbe trepein ‘(se) tourner, changer’, dont la signification se reconnait facilement dans celle de tropisme ‘réaction d’un organisme se traduisant par une orientation déterminée’. Trophée était à l’origine un monument commémorant une victoire sur l’ennemi et érigé à l’endroit où ce dernier avait tourné les talons. Le nom tropique ‘parallèle du globe terrestre correspondant au passage du Soleil au zénith lors du solstice’, dont a été dérivé tropical, réfère au fait que le solstice est le moment de l’année où le soleil fait demi-tour après avoir atteint son plus haut ou plus bas point dans le ciel.

Trope, trouver, trouvère et troubadour sont plus étroitement apparentés. Ils proviennent du dérivé nominal tropos ‘tour, changement’ de trepein. Tropos possédait un sens spécialisé ‘figure de style consistant à changer le sens d’une expression’, qui nous a été transmis par l’intermédiaire du latin impérial tropus. Le nom français trope a été directement emprunté à ce tropus au XVIe siècle.

Comme c’est souvent le cas pour les mots issus du fonds primitif, trouver a subi des changements sémantiques plus profonds par rapport à l’emprunt trope. Ses sens proviennent du sens ‘chant (contenant des figures de style)’, que tropus affichait en latin tardif. Le latin populaire dériva de cet emploi un verbe tropare ‘composer un chant’, qui a donné le nom français trouvère ‘poète lyrique qui compose en langue d’oïl’ et le nom occitan troubadour ‘poète lyrique qui compose en langue d’oc’. Le sens ‘composer (des vers)’ était d’ailleurs usité en ancien français, lequel possédait aussi déjà le sens actuel plus élargi de ‘trouver (par hasard ou intentionnellement)’ (trouver les mots, un objet, son argent), à partir de l’interprétation « trouver les paroles d’un poème ». Parmi les autres emplois principaux de trouver, on note le sens ‘juger’, attesté dès le milieu du XIIe siècle (trouver joli), suivi d’un attribut, et, plus tard, suivi de que (je trouve que…). Le verbe s’emploie à la forme pronominale depuis le XIIIe siècle au sens de ‘être dans telle situation’ (se trouver mal) et, depuis le XVe siècle, au sens de ‘être quelque part’ (se trouver au village). Trouver a servi enfin à former de nombreuses locutions figurées (trouver chaussure à son pied, trouver la perle rare, etc.), dans lesquelles le sens de ‘trouver’ est parfois affaibli (trouver la mort ‘mourir’, du XVIIe siècle).

D’un point de vue phonétique, pour aboutir à trouver, le latin populaire tropare a subi les changements phonétiques attendus, dont l’affaiblissement du p en v et la fermeture du o en ou, qu’on trouve aussi dans ouvrer, du latin tardif operare ‘travailler’. Jusqu’au XVIIe siècle, le radical trouv- devient treuv- sous l’accent tonique (je treuve, nous trouvons). Toutes les formes ont été alignées par la suite sur la forme inaccentuée en ou, contrairement aux formes de pleurer (je pleure, nous plourons), qui ont été alignées sur la forme accentuée en eu. Notons que mourir présente encore aujourd’hui l’ancienne alternance (je meurs, nous mourons).

heuristique

Le nom et l’adjectif heuristique apparaissent tous deux en 1845 avec les sens respectifs ‘étude de la découverte des faits scientifiques’ et ‘qui contribue à la découverte’ (hypothèse heuristique). Ils ont été empruntés à l’allemand heuristisch. Le mot allemand avait lui-même été emprunté au latin moderne heuristicus. Celui-ci a été formé irrégulièrement par l’ajout du suffixe d’origine grecque -icus ‘relatif à’ (en grec, -ikos) au verbe grec ancien heuriskein, ‘trouver’. Ce verbe est aussi à l’origine de l’expression eurêka ‘j’ai trouvé’, attribuée à Archimède. Les autres sens du nom heuristique sont apparus par extension au XXe siècle. Il s’agit de ‘art de découvrir les documents’ (en histoire) et ‘ensemble des méthodes et des techniques contribuant à l’acquisition de connaissances nouvelles’. Le sens informatique ‘méthode d’exploration procédant par évaluations et hypothèses successives’, aussi véhiculé par l’adjectif, a probablement été emprunté à l’anglais.

On rencontre une variante sans h initial (euristique), qui rapproche le mot de son parent eurêka. Cette graphie est recommandée par les rectifications orthographiques de 1990.

eurêka

L’anecdote pourrait bien être apocryphe, même si on l’a racontée régulièrement dans des douzaines de sources historiques à partir du Ier siècle. Quand le roi Hiéron II demanda à Archimède de Syracuse (vers 287–212 av. J.-C.) d’identifier le métal composant sa couronne sans l’endommager, le scientifique aurait eu une illumination pour la solution du problème lorsque, après être entré dans une baignoire, il s’aperçut que l’augmentation apparente du volume de l’eau correspondait exactement au volume de la partie immergée de son corps. Le volume des objets de forme irrégulière pouvait donc être calculé avec précision. Archimède se servit des deux caractéristiques connues de la couronne, soit son volume et sa masse, pour calculer sa densité, ce qui lui permettait de déterminer alors sa composition. La légende ajoute que, fou de joie, Archimède se précipita hors des bains publics et, courant nu à travers les rues de la ville, il s’écria qu’il avait trouvé ce qu’il cherchait : « heurēka !, heurēka ! » ‘j’ai trouvé !, j’ai trouvé !’.

La première mention de cette légende n’a pas été faite en grec, mais en latin. On la trouve dans De architectura (en français : De l’architecture) de l’architecte romain Vitruve, écrit quelque deux siècles après la mort d’Archimède. Elle a été reprise par diverses sources, apparaissant notamment dans la Moralia de Plutarque (vers l’an 100) et dans les Commentaires sur le premier livre des Éléments d’Euclide de Proclus (Ve siècle). Il est probable qu’il s’agisse d’une invention de Vitruve, qui aurait confondu ce phénomène non documenté chez Archimède avec celui de la poussée d’Archimède, référant à un autre principe physique, bien documenté dans son Traité des corps flottants.

En français, c’est seulement depuis le XIXe siècle qu’on utilise l’expression eurêka. Elle signifie qu’on a trouvé la solution au problème. Elle est attestée pour la première fois dans les Soirées de Saint-Pétersbourg (1821) du philosophe contrerévolutionnaire Joseph de Maistre :

Parmi les livres qu’on nous envoyoit de la ville voisine pour occuper nos longues soirées, nous trouvâmes un jour l’ouvrage posthume de je ne sais quel échappé des petites-maisons de Genève, qui avoit passé une grande partie de sa vie à chercher la cause mécanique de la pesanteur, et qui, se flattant de l’avoir trouvée, chantoit modestement EUREKA, tout en s’étonnant néanmoins de l’accueil glacé qu’on faisoit à son système.

Comme dans les sources latines, le français ne reprend pas l’aspiration initiale du grec dans eurêka. Il reproduit néanmoins correctement la longueur du deuxième e en le surmontant d’un accent circonflexe. Dans la conjugaison grecque, heurēka est la forme de la première personne du singulier de l’indicatif parfait de heuriskein ‘trouver’.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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