Histoires de mots - 8 février 2021 - 3 min

Gourmandises sensuelles

La Saint-Valentin offre l’occasion de gâter l’être aimé. Vous pouvez naturellement choisir les traditionnels bouquets de fleurs ou chocolats pour exprimer vos tendres sentiments. Mais, vu la morosité ambiante de la pandémie, nous vous conseillons plutôt l’originalité avec les salambos au kirch, la tarte à la frangipane ou les jolies pralines. À moins d’offrir en dégustation cette Histoire de mots, portant justement sur les noms salambo, frangipane et praline. Leur délicieuse histoire est non seulement plus diététique, mais elle évoque en outre la passion, la sensualité, le partage et le raffinement recherchés lors de cette fête.

salambo

Le salambo, pâtisserie oblongue faite de pâte à choux et garnie de crème pâtissière à la vanille, est traditionnellement appelé gland (pâtissier). Le nom de salambo, plus sensuel, fut adopté au tournant du XXe siècle, rendant hommage à l’opéra Salammbô (1890) du compositeur français Ernest Reyer. Le choix du genre masculin pour une pâtisserie aussi « féminine » n’a pas été expliqué, mais on peut supposer qu’il a été influencé par celui de son synonyme gland pâtissier ou bien des termes apparentés chou et éclair.

L’œuvre de Reyer avait été basée sur le roman éponyme (1862) de Gustave Flaubert racontant l’histoire de Salammbô — sœur fictive du général carthaginois Hannibal — qui attisait les passions des mercenaires, allant jusqu’à provoquer la mort de l’un d’eux, Mathô. Bien que la raison de l’hommage soit obscure, on peut tout de même s’aventurer à faire un rapprochement entre la sensualité de Salammbô et celle de la pâtisserie.

Flaubert a appelé son personnage Salammbô en référence au culte que vouait la véritable sœur d’Hannibal à la déesse lunaire punique Tanit, laquelle correspond à la déesse phénicienne de la fécondité, Astarté. Or, l’un des noms de cette déesse est Salambô, qui se décompose en Shalam-Baal et signifiait en phénicien ‘image de Baal (dieu sémitique)’. Flaubert a doublé le m pour s’assurer que l’on prononce la syllabe lam comme lame, et non pas comme lent. Le nom de la pâtisserie, quant à lui, s’écrit salammbô quand on prononce le m, comme dans le nom du personnage, mais plus couramment salambo, la suite -am- transcrivant une voyelle nasale (comme dans lent).

frangipane

Si de nombreuses théories ont été échafaudées sur l’origine du nom frangipane, le consensus le fait provenir du patronyme médiéval romain Frangipani. Le premier Frangipani devait être une personne généreuse, puisque ce nom propre italien est décomposable en frangere ‘rompre’ et pane ‘pain’, donc ‘celui qui rompt le pain (c’est-à-dire celui qui partage)’. Le premier sens de frangipane apparu en français, ‘parfum qui rappelle celui de l’amande (utilisé pour la confection de gants)’ (vers 1640), suggère que ce Frangipani fut à l’origine de l’invention du parfum ou de sa diffusion. Frangipane a ensuite désigné d’autres choses évoquant ce parfum : une garniture à gâteau à base d’amandes ou le gâteau lui-même (années 1730), une liqueur (fin du XVIIe siècle) et un fruit (tournant du XVIIIe siècle).

praline

Originaire de Montargis (sud de Paris), la praline a été inventée au XVIIe siècle par Clément Jaluzot, officier de bouche du maréchal du Plessis-Praslin (Praslin était un duché-pairie comprenant la commune actuelle de Saint-Épain, dans le département d'Indre-et-Loire). Quand l’officier de bouche eut l’idée d’enrober ses amandes grillées de sucre caramélisé, le maréchal s’en appropria la paternité lors d’un diner de réconciliation entre les magistrats municipaux de Bordeaux et le pouvoir royal afin d’entrer dans les bonnes grâces de ses convives. Jaluzot ne semble pas s’en être formalisé, puisque c’est sous le nom de praslines, tiré de Plessis-Praslin, qu’il vendra par la suite ces friandises dans sa boutique, la Confiserie du Roy. N’eût été son humilité, on dégusterait aujourd’hui des « jaluzotes »… Par analogie avec son enrobage sucré, praline s’est appliqué en Belgique à une bouchée de chocolat fourrée, conçue en 1912 par le chocolatier bruxellois Jean Neuhaus. Sa confection s’inspirait de son grand-père pharmacien, qui enrobait de chocolat ses médicaments.

Le sens ‘balle d’arme à feu’ de praline, rappelant la forme et la taille de la praline française, est apparu dans la langue familière au début du XXe siècle. Un adjectif praline évoquant la couleur rose brunâtre des pralines a également vu le jour à la même époque. Enfin, l’apposition de la praline à cucul ‘d’une naïveté ridicule’ pour former l’expression synonyme cucul la praline s’explique par la connotation ‘chose mignonne ou raffinée’ du sens ‘amande grillée enrobée de sucre’ de praline, compatible avec celle de cucul.

Le nom praline a engendré le verbe praliner ‘faire rissoler dans du sucre, à la façon des pralines’. De ce verbe ont été tirés le nom pralin ‘préparation à base d’amandes, de sucre et de vanille’ et l’adjectif praliné ‘rissolé dans du sucre’, dont l’emploi nominal est synonyme de pralin. Par contre, le sens ‘parfumer, décorer au pralin’ du verbe semble avoir été dérivé de pralin plutôt que de praline. Quant à l’acception horticole de praliner, ‘enrober (un végétal) d’un mélange de terre et de bouse’, elle rappelle le procédé d’enrobage des pralines ; son nom correspondant pralin ‘mélange de terre et de bouse destiné à enrober les racines d’un végétal’ en a été dérivé de la même façon que l’acception alimentaire.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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