Histoires de mots - 1 avril 2023 - 4 min

Mettons les zébus avant les bœufs

Natifs du Taureau, dont le signe débute ce mois-ci, cette Histoire de mots vous concerne particulièrement, puisqu’il sera question de bovidés. On connait tous le bœuf, bien sûr, mais d’autres de ses congénères méritent aussi notre estime. Pour leur rendre justice, nous mettrons donc les zébus, les yaks, les aurochs et les bisons avant les bœufs et raconterons leur histoire, parfois fascinante, parfois tragique. En effet, l’auroch n’a pas survécu à la présence humaine, le bison a failli connaitre le même sort tandis que les autres doivent leur survie à leur domestication. Espérons que la diminution de la chasse intensive et de la consommation de leur viande allègera le poids qui pèse sur leurs épaules. Nous allègerons en tout cas le propos en broutant le plus souvent dans un champ plus distrayant, celui de l’histoire de leurs appellations.

zébu

Le zébu est un grand bovidé domestique originaire de l’Inde qui s’est répandu en Afrique dès l’Antiquité. Il est caractérisé par une bosse graisseuse sur le garrot. L’origine de son appellation est incertaine. Quelques sources l’expliquent par des mots tibétains tels que zeba ‘bosse d’animal’ ou mdzopo ‘dzo, c’est-à-dire un hybride issu d’un yak et d’une vache domestique’, décomposable en mdzo ‘dzo’ et po ‘mâle’.

C’est le naturaliste français Buffon qui utilisa la première fois le nom zébu pour désigner ce bovidé dans son Histoire naturelle (1754); la variété africaine y était appelée dant ou lant de Numidie. Il n’y donne malheureusement pas la source de ces termes. Zébu est habituellement de genre fixe, c’est-à-dire qu’il désigne à la fois le mâle et la femelle. Bien que les féminins zébue et zébute existent, c’est la périphrase femelle (du) zébu qui demeure de loin plus courante. Ce procédé périphrastique est habituel pour les espèces peu importantes pour l’humain (girafe mâle, kangourou femelle, moineau femelle…).

yak

Le yak est un bovin vivant dans l’Himalaya ou les régions avoisinantes. Il se subdivise en deux espèces : le yak domestique (Bos grunniens) et le yak sauvage (Bos mutus), aujourd’hui menacé. Comme le bœuf musqué, il est couvert d’une longue toison, mais contrairement à celui-ci, ses cornes sont dirigées vers le haut. Une caractéristique le distingue de tous les autres bovidés : au lieu de meugler, il grogne, d’où le nom latin grunniens ‘grognant’ de l’espèce domestique.

Yak constitue vraisemblablement un emprunt à l’anglais. En effet, sa première attestation comme mot français date de 1808 (sous la forme yack), alors que son adoption en anglais (sous la forme yak) date de 1795. On avait déjà fait mention de yak dans le Dictionnaire raisonné universel d’histoire naturelle (1791) du naturaliste Jacques-Christophe Valmont de Bomare, mais seulement en tant que nom étranger. En français, les graphies yak et yack sont en concurrence pratiquement depuis l’apparition du mot. La première a été retenue par les rectifications orthographiques en raison de sa plus grande simplicité.

Son correspondant anglais a été emprunté au tibétain yak. On a suggéré de le rattacher au nom yakwe ‘cheval’ du koutchéen, langue parlée dans le nord-ouest de la Chine actuelle et appartenant à la branche tokharienne des langues indo-européennes. Si cette hypothèse se confirmait, yak serait un cousin éloigné du latin equus, à l’origine, entre autres, du mot français équitation.

auroch

L’auroch, ancêtre du bœuf domestique, est éteint depuis le XVIIe siècle. Il se distinguait de son descendant par une taille légèrement supérieure, de grandes cornes en forme de lyre, dirigées vers l’avant, et par un caractère plus agressif. On le confondait parfois avec le bison d’Europe, un autre grand bovidé. Il existe trois appellations pour désigner l’auroch : auroch, urus et ure. Le nom auroch est un emprunt à l’allemand moderne Auerochse ‘auroch’. Celui-ci est le descendant du moyen haut-allemand urohse, lui-même du vieux haut-allemand ûrohso, qui se décompose en ûro ‘auroch’ et ohso ‘bœuf’. Ces éléments remontent au germanique ūruz ‘taureau’ (apparenté de loin au latin urina ‘urine’…) et uhsōn ‘bœuf’ (apparenté à l’anglais ox ‘bœuf’).

Au début du XVe siècle, auroch fait une entrée timide en français sous la forme étonnante ourofl, altérée à partir du moyen haut-allemand urohse. Au milieu du XVIIIe siècle, le naturaliste Buffon introduit et popularise la forme « étymologique » aurochs (concurremment avec aurocks), qui représente le s de l’allemand moderne. Toutefois, l’adoption de cette forme venait un peu tard, puisque l’espèce était disparue depuis le siècle précédent. Au XIXe siècle apparait une variante sans s final au singulier, notamment chez Victor Hugo, ce s ayant été faussement interprété comme une marque du pluriel. La prononciation suit une tendance similaire : le [s], autrefois sonore, est aujourd’hui muet. Bien que les graphies aurochs et auroch coexistent aujourd’hui pour le singulier, seule la dernière a été choisie par les rectifications orthographiques à cause de sa conformité à la prononciation moderne sans [s].

Urus est le nom latin de l’auroch. Il avait été emprunté au gaulois uros ou à son parent germanique ūruz, à l’origine aussi, comme on l’a vu, de aurochs. Il est emprunté en français au XVIe siècle sous la forme ure, et, peu après, sous sa forme latine. Relativement à auroch(s), ces formes sont rares.

bison

Le bison est un grand bovidé sauvage caractérisé par un cou bossu et un collier laineux. Il compte deux espèces : le bison d’Amérique et le bison d’Europe. Le bison d’Amérique a frôlé l’extinction dans les années 1880 en raison d’une chasse excessive par les colons blancs, la population n’étant réduite alors qu’à quelques centaines d’individus. Le bison d’Europe a subi un sort similaire, les derniers spécimens sauvages disparaissant en Pologne au début du XXe siècle. Les deux espèces ont heureusement par la suite été réintroduites dans la nature.

Bison provient du germanique wisundaz, signifiant littéralement ‘(animal) puant’, à cause de la forte odeur de cet animal pendant le rut. Il est possible que la racine wis- ‘puant’ soit apparentée à la racine latine vis-, qui aurait donné vison (mot qui désignait probablement à l’origine le malodorant putois) et vesse ‘pet’. Notons que le rapport sémantique entre bison et vesse se rapproche de celui entre urus ‘auroch’ et son lointain parent urine.

Le terme bison est utilisé la première fois en latin par le naturaliste Pline l’Ancien. Il est probable qu’il désignait à la fois l’auroch et le bison européen, deux grands bovidés d’apparence similaire. Son premier emploi en français date du début du XIVe siècle. Il a cessé de désigner l’auroch à peu près à l’époque où Buffon popularisait le terme aurochs dans son Histoire naturelle au milieu du XVIIIe siècle. Il continua à partir de ce moment à désigner le bison d’Europe, mais surtout, commença à englober le bison d’Amérique, récemment découvert, dont les immenses troupeaux parcouraient alors les plaines du nouveau continent.

On trouve également chez Buffon, dans son Histoire naturelle, le terme bisonne ‘femelle du bison’. Le terme bisonneau ‘petit du bison’ est quant à lui apparu au milieu du XIXe siècle. Les deux termes sont peu usités et le plus souvent remplacés par des périphrases telles que femelle du bison et petit du bison.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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