Pour employer faute sans en commettre

La présente chronique sera truffée de faute, le mot, et non, espérons-le, la chose. Le mot entre dans de nombreuses expressions qui comportent des difficultés d’écriture et qui sont autant d’occasions de voir poindre la chose si l’on n’y prête attention.
sommaire
faute de, locution prépositionnelle
Le nom faute, étymologiquement apparenté à faillir et faillite, ne s’emploie généralement plus dans son ancien sens de « manque, absence, défaut », mais ce sens survit dans quelques locutions, dont la locution prépositionnelle faute de, qui signifie « par manque de, en l’absence de », comme l’illustre ce proverbe qu’on invoque quand il faut se contenter de ce que l’on a, en l’absence de ce que l’on désire :
Faute de grives, on mange des merles. (= en l’absence de grives)
La locution, où le mot faute n’est jamais précédé d’un déterminant, est aussi à l’œuvre dans ce vers célèbre du Cid de Corneille qui conclut le récit d’un combat et qu’on cite parfois quand un débat ou une discussion passionnée finit par s’épuiser avec le départ des intervenants ou par perte d’intérêt :
Et le combat cessa faute de combattants.1
Faute de s’emploie aussi en parlant de choses abstraites :
Faute de vigilance, elle fit une chute sur le trottoir verglacé. (= par manque de vigilance)
La locution se construit également avec un verbe à l’infinitif présent ou passé :
Faute d’avoir fait attention, elle fit une chute sur le trottoir verglacé.
Une erreur assez fréquente dans cette construction est d’ajouter la négation ne pas, ce qui aboutirait à un contresens dans notre exemple :
*Faute de ne pas avoir fait attention, elle fit une chute sur le trottoir verglacé.
La « négation » étant déjà implicite dans le mot faute (« manque »), il ne faut pas lui ajouter ne pas.
Ces exemples avec attention nous amènent au point suivant.
faute d’attention ou faute d’inattention ?
On aurait très bien pu remplacer le mot vigilance de l’exemple vu plus haut par son synonyme attention :
Faute d’attention, elle fit une chute sur le trottoir verglacé. (= par manque d’attention)
Cet emploi parfaitement correct de faute d’attention (construit avec la locution prépositionnelle faute de) ne doit pas être confondu avec l’emploi du nom faute dans son sens courant « erreur, manquement à une règle, à une norme, à une technique ». Dans ce sens, il est habituellement précédé d’un déterminant et souvent accompagné d’un complément introduit par la préposition de et spécifiant le domaine « normé » ou la technique où l’erreur se produit :
une faute d’orthographe (= une faute en matière d’orthographe)
une faute de français
une faute d’impression
une faute de gout (= une entorse au bon gout)
Le complément peut aussi plutôt désigner la cause de l’erreur :
une faute de négligence (= une faute causée par la négligence)
une faute d’étourderie
une faute d’imprudence
Et c’est dans ce sens qu’on peut très bien avoir comme complément le nom inattention, qui signifie « manque d’attention » :
une faute d’inattention (= une faute causée par l’inattention)
Cet emploi est ancien, répandu et correct, même s’il a jadis fait l’objet de critiques.
On peut légitimement trouver que ce double sémantisme du complément de faute (« en matière de » ou « causé par ») n’est pas idéal pour la compréhension et peut générer de la confusion. Ainsi, au vu de ce qui précède, l’exemple qui suit est-il correct ?
Il a commis une faute d’attention.
Dans la première interprétation possible (« en matière de »), il est assez peu naturel de considérer l’attention comme un domaine gouverné par des normes susceptibles d’être transgressées. Quant à la deuxième interprétation (« causée par »), elle conduit carrément à une absurdité, soit « une faute causée par l’attention ».
Quoi qu’il en soit, quand il est question d’une étourderie, l’usage contemporain préfère nettement une faute d’inattention à une faute d’attention. On dit aussi une erreur d’inattention.
c’est sa faute ou c’est de sa faute ?
Ces deux constructions (avec ou sans de) s’emploient concurremment et indifféremment quand il s’agit d’attribuer à quelqu’un (représenté par un déterminant possessif : sa, ta, votre, etc.) la responsabilité d’une action fâcheuse. Un exemple sans de figure dans la traduction traditionnelle du confiteor, une prière de la liturgie catholique, dont l’extrait ci-dessous est précédé du texte latin, histoire de montrer du même coup l’origine de l’expression mea culpa :
Mea culpa, mea culpa, mea maxima culpa.
C’est ma faute, c’est ma faute, c’est ma très grande faute.
Autrefois on percevait une nuance entre les tournures c’est sa faute et c’est de sa faute, la première mettant l’accent sur la personne et la deuxième sur la cause. La forme avec de a parfois été jugée moins traditionnelle et plus relâchée, mais elle est aujourd’hui bien implantée dans tous les registres.
La préposition par s’emploie aussi :
C’est par sa faute.
On utilise habituellement la conjonction de subordination si pour introduire la conséquence fâcheuse de la faute :
C’est (de) votre faute si les négociations ont échoué.
Avec de, mentionnons également ces tournures synonymes devenues rares :
Il y va de sa faute.
Il y a de sa faute.
c’est la faute de Paul ou c’est la faute à Paul ?
Ici, le coupable n’est plus dissimulé derrière un possessif, mais figure comme complément du nom faute. Ce complément est normalement introduit par la préposition de :
C’est la faute de Paul.
La variante avec la préposition à, c’est-à-dire c’est (de) la faute à Paul, est d’un registre nettement plus relâché. Elle a été popularisée par une chanson du xixe siècle ayant connu plusieurs versions, dont une que Victor Hugo, dans les Misérables, met dans la bouche du personnage de Gavroche, un enfant des rues parisien qui meurt sur les barricades en la chantant :
On est laid à Nanterre,
C’est la faute à Voltaire,
Et bête à Palaiseau,
C’est la faute à Rousseau.
[…]
Je suis tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire,
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à…2
Pour renforcer un possessif qui précède, c’est la préposition à qui est de mise :
C’est sa faute, à Paul.
C’est sa faute, à lui.
De même dans ces tournures interrogatives :
C’est la faute à qui ?
À qui la faute ?
Et dans cette construction où le pronom en représente une action fâcheuse déjà mentionnée :
La faute en est à Paul. (= la faute de cela revient à Paul)
Enfin, quand on ne peut pas — ou ne veut pas — identifier de coupable, sinon la simple fatalité, on recourt parfois à cette expression familière :
C’est la faute à pas de chance.
c’est de la faute de Paul ?
Les lecteurs attentifs auront peut-être déduit des deux précédentes sections que l’on peut en principe avoir cette variante qui comporte deux prépositions de :
C’est de la faute de Paul.
Mais on évitera ce double de, qui est généralement jugé inélégant.
sans fautes, sans faute ou sans-faute ?
une dictée sans fautes ou sans faute ?
Quand la préposition sans est immédiatement suivie d’un nom, la règle générale dit que l’accord de celui-ci dépend du sens ou de la logique de la phrase, une fois ramenée en contexte positif :
Une nuit sans étoiles. (S’il y en avait, il y aurait plusieurs étoiles. Il manque les étoiles.)
Une nuit sans lune. (S’il y en avait, il y aurait une lune. Il manque la lune.)
Dans le cas d’une dictée ou d’un devoir scolaire, la possibilité de contenir plusieurs fautes est malheureusement bien réelle, et il est donc justifié d’écrire :
une dictée sans fautes
un devoir sans fautes
Cela dit, le singulier est aussi correct si l’on veut insister sur le caractère impeccable, irréprochable, en sous-entendant sans aucune faute ou sans la moindre faute :
une dictée sans faute
un parcours sans faute
sans faute, locution adverbiale
Le français dispose par ailleurs de la locution adverbiale invariable sans faute, où le mot faute revêt son ancien sens de « manque » et qu’Antidote définit ainsi : « sans faillir, sans y manquer, à coup sûr ». On l’emploie notamment pour insister sur la ponctualité ou sur l’assiduité :
Présentez-vous demain matin à neuf heures sans faute.
Voici une phrase combinant cet emploi et celui vu plus haut :
Écrivez-moi sans faute et sans fautes. (= sans y manquer et sans faire de fautes)
sans-faute, nom
Le nom masculin sans-faute est à l’origine une ellipse de la locution parcours sans faute, qui, dans les concours hippiques, désigne un parcours de saut d’obstacles que le cheval parvient à exécuter sans commettre aucune erreur technique. Par analogie, la locution et le nom en sont venus à désigner toute épreuve sportive, performance ou prestation parfaitement accomplie :
La gymnaste a exécuté un sans-faute.
Les organisateurs de la cérémonie ont réalisé un sans-faute.
Ce nom prend-il un s au pluriel ? En orthographe traditionnelle, il est considéré comme invariable, alors qu’en orthographe rectifiée on lui ajoute un s au pluriel, en application de la règle recommandée pour ce type de nom composé où les constituants sont une préposition suivie d’un nom :
des sans-faute (orthographe traditionnelle)
des sans-fautes (orthographe rectifiée)
zéro faute ou zéro fautes ?
Concluons avec la lettre z et un souhait : faire zéro faute.
Le numéral cardinal zéro peut s’employer dans le rôle de déterminant devant un nom, notamment un nom d’unité de mesure. Comme expliqué dans une chronique passée, ce déterminant, invariable et indiquant une quantité nulle, commande alors l’accord du nom au singulier :
La température est de zéro degré.
Zéro minute cinquante secondes.
La langue courante étend cet emploi à divers noms de choses comptables, dont notre nom faute, et, là aussi, on recommande généralement3 d’accorder le nom au singulier :
J’ai fait zéro faute dans ma dictée. (= aucune faute)
L’expression s’emploie parfois aussi comme locution nominale, pour désigner un résultat ou une performance impeccable :
L’écolière a fait un zéro faute.
En matière de notation, un zéro faute est toujours plus agréable qu’un zéro tout court.
-
Corneille, Pierre. Le Cid, acte IV, scène iii, Paris, 1637, p. 95. ↩
-
Hugo, Victor. Les Misérables, cinquième partie (Jean Valjean, I), Paris, Pagnerre, 1862, p. 122 et 124. ↩
-
Il est vrai que l’Académie française, dans son Dictionnaire, permet aussi l’accord au pluriel (il a fait zéro faute ou zéro fautes), mais elle fait plutôt bande à part sur ce point. ↩
