Points de langue - 2 avril 2007 - 3 min

Quand les noms propres se « communisent »

Quand un nom propre devient un nom commun, perd-il toujours la majuscule ? Prend-il toujours la marque du pluriel ?

Rappelons qu’un nom commun est un mot qui désigne tous les êtres d’une même espèce, tous les objets d’une même catégorie, qui répondent à une définition commune. Le nom propre, quant à lui, n’a pas de définition véritable ; il est attribué conventionnellement à un être ou à un objet individualisé. Le nom propre s’écrit avec une majuscule.

Noms communs : frère, chien, pays, ville, planète.
Noms propres : Paul, Fido, Norvège, Rome, Saturne.

Or il arrive que, pour créer un nouveau mot ou simplement pour produire un effet de style, on emploie un nom propre en lui donnant le sens d’un nom commun. Ce procédé est appelé antonomase. (Ce mot peut aussi désigner le procédé inverse : utilisation d’un nom commun comme un nom propre. Ce cas ne sera pas abordé ici.)

L’antonomase consiste parfois en une métaphore, où le nom d’un personnage est donné comme modèle de toute une catégorie d’individus qui partagent une de ses caractéristiques :

un hercule (un homme fort, comme le héros mythologique Hercule)
un tartufe (un hypocrite, comme Tartuffe, personnage de Molière)

Une autre variété d’antonomase fait plutôt appel à la métonymie : une chose porte le nom d’une personne ou d’un lieu qui lui est étroitement associé par un lien quelconque (inventeur-invention, région-produit, etc.) :

une poubelle (récipient qui fut imposé par le préfet Eugène Poubelle)
un bourgogne (vin originaire de la région de Bourgogne)

La fréquence d’emploi de certaines antonomases leur a valu d’être lexicalisées, de s’intégrer pour de bon dans la langue et de figurer dans les dictionnaires comme des noms communs à part entière. Ces mots revêtent alors en principe deux attributs graphiques des noms communs : la minuscule initiale et, le cas échéant, la marque du pluriel (un s final, le plus souvent). On écrit donc :

des hercules
des tartufes
des poubelles
des bourgognes

Parfois la lexicalisation est si complète que les utilisateurs d’un nom commun ne sentent plus qu’un nom propre se cache derrière. Plusieurs ignorent, par exemple, que le mot mécène vient de Mécène, ami de l’empereur romain Auguste, ami qui fut un protecteur des arts et des lettres. De même, peu de gens savent que le mot renard est à l’origine un nom propre, Renart, nom porté par le héros du recueil de récits animaliers médiévaux connu sous le titre le Roman de Renart. Ce héros est un animal de l’espèce appelée autrefois goupil, un nom qui a depuis cédé la place à renard.

Ce n’est qu’à l’usage que certaines antonomases finissent par prendre tous les caractères des noms communs. Règle générale, plus le mot est fréquent ou plus le lien est devenu opaque entre le nom propre d’origine et le nom commun résultant, plus celui-ci aura tendance à s’écrire avec la minuscule et la marque du pluriel.

Le problème d’écriture se complique quand on a affaire à des noms composés, comme ceux des deux héros littéraires espagnols Don Juan et Don Quichotte, personnages dont les noms sont devenus respectivement synonymes de « séducteur » et « justicier idéaliste ». La plupart des dictionnaires recommandent d’écrire ces deux noms communs de la façon suivante, donnée au pluriel :

des dons Juans
des dons Quichottes

Ces graphies, où la première majuscule tombe (le d de don), mais non la deuxième, peuvent sembler bâtardes et donner l’impression d’une lexicalisation arrêtée à mi-chemin. Il serait légitime de laisser tomber la deuxième majuscule elle aussi :

des dons juans
des dons quichottes

On pourrait aussi souder ces noms composés :

des donjuans
des donquichottes

C’est d’ailleurs ces deux dernières graphies qui sont recommandées par les rectifications orthographiques. Ces soudures sont d’autant plus légitimes que les dictionnaires mentionnent déjà des dérivés soudés comme donjuanesque et donquichottisme.

Dans le cas de métaphores relativement récentes ou transparentes, qui ne figurent pas comme telles dans les dictionnaires, la majuscule est le plus souvent conservée, même si la minuscule pourrait se justifier en principe. Il est recommandé de donner, le cas échéant, la marque du pluriel à ces emplois métaphoriques :

les Mozarts du jeu d’échecs (les enfants prodiges du jeu d’échecs)
les Babylones modernes (les lieux de perdition modernes)

Quand on désigne une œuvre d’art par le nom du personnage représenté, ce nom conserve la majuscule, mais prend la marque du pluriel :

trois Cupidons en marbre (trois images du personnage Cupidon)

La marque du pluriel peut s’expliquer par l’idée de pluralité : la multiplication de l’image suggère la multiplication du personnage lui-même.

Par contre, quand on désigne une œuvre d’art par le nom de l’artiste qui l’a créée, l’individualité de celui-ci reste présente à l’esprit. Dans ce type d’antonomase métonymique, transparent et très productif, le mot garde la majuscule et l’invariabilité :

ce musée possède trois Cézanne (trois tableaux peints par Cézanne)

On peut aussi y voir une forme d’ellipse, de raccourci : en disant trois Cézanne, on sous-entend trois tableaux de Cézanne.

Ce dernier cas s’apparente à celui des produits désignés par leur marque de commerce. De statut intermédiaire entre nom propre et nom commun, le nom de marque est considéré comme un nom propre invariable gardant la majuscule, même lorsqu’il est utilisé pour désigner des objets portant cette marque :

il possède trois Ferrari (trois voitures fabriquées par Ferrari)
il possède trois Mobylette (trois cyclomoteurs Mobylette)

Cependant, certains noms de marques populaires sont devenus génériques dans la langue courante : ils en viennent à être utilisés pour désigner tous les produits du même type, peu importe leur marque de commerce. Ainsi, le mot mobylette est souvent utilisé comme simple synonyme de « cyclomoteur », même quand l’objet dont il est question n’est pas de la marque Mobylette. Le mot prend les attributs graphiques du nom commun dans cet emploi, un emploi qui est toutefois déconseillé dans un registre surveillé, où l’on préfèrera le synonyme qui convient :

des mobylettes de tous les modèles  des cyclomoteurs
des frigidaires de toutes les marques  des réfrigérateurs

Conclusion

En conclusion, l’on voit que certains principes généraux peuvent nous guider dans l’écriture des noms propres devenus communs. Mais il subsiste des cas particuliers où l’usage n’est pas bien fixé. Dans le doute, consulter un dictionnaire, comme celui d’Antidote.

Cet article a été concocté par
les linguistes d’Antidote

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